Yves Gallot, roi des marcheurs
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Paris, 1895. Le plus grand exploit d’Yves Gallot (à droite, avec fusil et drapeau) : 62 fois le tour de Paris, soit 2 421 km en 31 jours ! (Bibliothèque nationale de France.)
EXPLOIT. A la fin du XIXe siècle, Yves Gallot est la star de ce sport en pleine vogue, la randonnée. Il a tout appris chez les… Sioux.
Cette fois, le « roi des marcheurs » a été un brin présomptueux. Défier un cheval ? Allons donc, il n’y a que lui pour se lancer dans un pari aussi fou ! Sacré Gallot : même avec un nom pareil, il n’a aucune chance contre la monture du capitaine Cody, cousin du légendaire Buffalo Bill. Sur la place du Champ-de-Mars, la foule ne veut rien manquer de son duel : qui de « l’homme-vapeur » ou de l’animal parcourra la plus grande distance en 50 heures de marche ? A l’aube du 2 e jour, le 10 février 1894, le cheval a déjà une belle avance, mais Yves Gallot s’accroche. Pour se donner du courage, il chante à tue-tête des refrains militaires, entonne les succès de caf’conc’. A la 50 e heure, Cody a parcouru 259 km en usant deux bêtes. Gallot, 246, en ne martyrisant que ses mollets. Mais c’est lui que les milliers de spectateurs acclament en héros. A 31 ans, le titi de Barbès a une nouvelle fois prouvé son incroyable endurance. Et fait le show avec son impayable dégaine : casquette sur la tête, pantalon bouclé jusqu’au genou, ainsi qu’un fusil surmonté d’un drapeau tricolore. Le « patriote » l’assure aux journalistes qui l’assaillent : « je ne marche guère sans mon fusil et mon sac, bien garni ! Ça, c’est une habitude de trappeur, contractée en Amérique. C’est là que j’ai appris à marcher… »
Et le voilà reparti pour un tour, à raconter, comme il l’écrira dans ses « souvenirs » quinze ans plus tard, son périple de dix ans aux Etats-Unis. Battu comme plâtre par ses parents, parfois séquestré, Yves, 17 ans, avait pris — et à pied déjà — la route du Havre. En 1881, il embarque sur un trois-mâts pour New York. Marchand de journaux, colporteur, il s’essaie à tous les petits métiers avant de partir à l’aventure. Faute d’argent, c’est à pied qu’il explore le Nouveau Monde « traversé deux fois de part en part ». Le Frenchie moustachu remonte vers le Nord-Ouest encore sauvage, file au Canada. Dans les grandes plaines du lac Winnipeg, il se lie d’amitié avec César, un Sioux, avec qui il court les bois et traque le gibier. « Mes amis avaient une endurance, une vitesse, une souplesse extraordinaire. Le pas rapide, long et rasant le sol… César fut mon maître ès marches : il m’apprit tout ce que je sais », confiera-t-il après.
Auprès des Indiens, sa vocation est née : Yves monnayera son talent. Il organise ses premiers défis pédestres à Montréal, et gagne assez pour s’offrir le bateau retour vers l’Europe. A Paris, il se fait vite un nom dans les gazettes sportives qui se régalent de sa faconde et de l’allonge féline de son pas. « Une force irrésistible m’y pousse », répond le Forrest Gump de la Belle Epoque quand on lui demande ce qui le fait marcher. En 1895, il réalise son plus bel exploit : 62 fois le tour de Paris, soit 2 421 km bouclés en 31 jours, et des haltes toutes les six heures. En octobre 1903, il participe à Bordeaux-Paris, ne s’arrête plus. Mais en 1929, à 66 ans, les jambes ne suivent plus… comme la presse. « Ah, ça m’a fait de la peine d’être si vite oublié des Parisiens qui m’ont tant fêté », soupire le veuf. Il survit désormais grâce à un job de veilleur de nuit à Asnières. Paralysé après une chute, il s’éteindra miséreux dans un hospice pour vieillards de la banlieue sud, le 9 juillet 1936. Au cimetière d’Ivry, derrière son cercueil, ils n’étaient que six à marcher.
Charles De Saint Sauveur
En 1898, Yves Gallot distille ses « conseils pratiques », à suivre pas à pas, dans un livre, « l’Art de marcher »*. Il y délivre aussi ses . Pour l’imiter, il vous faut déjà « de bonnes espadrilles » graissées de suif, de miel et de saindoux. Lacez-les « au-dessus des chevilles » et « goudronnez les semelles ». Optez pour un pantalon imperméabilisé à l’huile, de la flanelle pour le haut. Les repas doivent être frugaux : bouillon, potage, œuf cru, de la viande saignante, très peu de pain. Pour se préparer au mieux, avalez une boisson à base de 40 g de kola pulvérisé et de 500 g d’alcool à 90° qu’il faut « laisser macérer quatre jours et passer au papier tournesol ».
Pour les petits maux pendant la course, frictionnez-vous avec de l’huile camphrée, et ne trempez pas vos pieds « malgré le désir profond qui vous assaille » : mieux vaut se les badigeonner « au pinceau » avec un mélange (60 g d’acide tonique + 1 litre d’alcool à 90°). Enfin, « n’hésitez pas à chanter en marchant, il n’est pas de meilleur soutien ».
* Réédité en 2013 par la Petite Bibliothèque Payot, 88 pages, 5,10 €.
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Paris, 1895. Le plus grand exploit d’Yves Gallot (à droite, avec fusil et drapeau) : 62 fois le tour de Paris, soit 2 421 km en 31 jours ! (Bibliothèque nationale de France.)
EXPLOIT. A la fin du XIXe siècle, Yves Gallot est la star de ce sport en pleine vogue, la randonnée. Il a tout appris chez les… Sioux.
Cette fois, le « roi des marcheurs » a été un brin présomptueux. Défier un cheval ? Allons donc, il n’y a que lui pour se lancer dans un pari aussi fou ! Sacré Gallot : même avec un nom pareil, il n’a aucune chance contre la monture du capitaine Cody, cousin du légendaire Buffalo Bill. Sur la place du Champ-de-Mars, la foule ne veut rien manquer de son duel : qui de « l’homme-vapeur » ou de l’animal parcourra la plus grande distance en 50 heures de marche ? A l’aube du 2 e jour, le 10 février 1894, le cheval a déjà une belle avance, mais Yves Gallot s’accroche. Pour se donner du courage, il chante à tue-tête des refrains militaires, entonne les succès de caf’conc’. A la 50 e heure, Cody a parcouru 259 km en usant deux bêtes. Gallot, 246, en ne martyrisant que ses mollets. Mais c’est lui que les milliers de spectateurs acclament en héros. A 31 ans, le titi de Barbès a une nouvelle fois prouvé son incroyable endurance. Et fait le show avec son impayable dégaine : casquette sur la tête, pantalon bouclé jusqu’au genou, ainsi qu’un fusil surmonté d’un drapeau tricolore. Le « patriote » l’assure aux journalistes qui l’assaillent : « je ne marche guère sans mon fusil et mon sac, bien garni ! Ça, c’est une habitude de trappeur, contractée en Amérique. C’est là que j’ai appris à marcher… »
Et le voilà reparti pour un tour, à raconter, comme il l’écrira dans ses « souvenirs » quinze ans plus tard, son périple de dix ans aux Etats-Unis. Battu comme plâtre par ses parents, parfois séquestré, Yves, 17 ans, avait pris — et à pied déjà — la route du Havre. En 1881, il embarque sur un trois-mâts pour New York. Marchand de journaux, colporteur, il s’essaie à tous les petits métiers avant de partir à l’aventure. Faute d’argent, c’est à pied qu’il explore le Nouveau Monde « traversé deux fois de part en part ». Le Frenchie moustachu remonte vers le Nord-Ouest encore sauvage, file au Canada. Dans les grandes plaines du lac Winnipeg, il se lie d’amitié avec César, un Sioux, avec qui il court les bois et traque le gibier. « Mes amis avaient une endurance, une vitesse, une souplesse extraordinaire. Le pas rapide, long et rasant le sol… César fut mon maître ès marches : il m’apprit tout ce que je sais », confiera-t-il après.
Auprès des Indiens, sa vocation est née : Yves monnayera son talent. Il organise ses premiers défis pédestres à Montréal, et gagne assez pour s’offrir le bateau retour vers l’Europe. A Paris, il se fait vite un nom dans les gazettes sportives qui se régalent de sa faconde et de l’allonge féline de son pas. « Une force irrésistible m’y pousse », répond le Forrest Gump de la Belle Epoque quand on lui demande ce qui le fait marcher. En 1895, il réalise son plus bel exploit : 62 fois le tour de Paris, soit 2 421 km bouclés en 31 jours, et des haltes toutes les six heures. En octobre 1903, il participe à Bordeaux-Paris, ne s’arrête plus. Mais en 1929, à 66 ans, les jambes ne suivent plus… comme la presse. « Ah, ça m’a fait de la peine d’être si vite oublié des Parisiens qui m’ont tant fêté », soupire le veuf. Il survit désormais grâce à un job de veilleur de nuit à Asnières. Paralysé après une chute, il s’éteindra miséreux dans un hospice pour vieillards de la banlieue sud, le 9 juillet 1936. Au cimetière d’Ivry, derrière son cercueil, ils n’étaient que six à marcher.
Charles De Saint Sauveur
« Un sport très populaire à la Belle Epoque »
Antoine de Baecque, historien
Professeur à l’Ecole normale supérieure, Antoine de Baecque vient de publier une passionnante « Histoire de la marche », qui explore des siècles de pratiques (flâneuse, protestataire, pieuse, utilitaire…) sur tous les continents.
Comment expliquer la grande popularité d’Yves Gallot ?
ANTOINE DE BAECQUE. Il n’était pas le plus rapide des marcheurs, n’a même jamais gagné de course. Mais il était d’une grande endurance, et n’avait pas son pareil pour faire parler de lui, en multipliant les défis très médiatiques. A la Belle Epoque, la passion nouvelle pour le sport s’accompagne de l’essor incroyable de la presse populaire. Les journaux rivalisent d’imagination pour créer d’innombrables épreuves — le Tour de France est par exemple lancé en 1903 par « l’Auto » — qui leur permettent de célébrer des héros qu’ils font naître.
Pourquoi ce succès de la marche ?
Avec l’aviron, la natation et le cyclisme, c’est un sport extraordinairement populaire. Ses épreuves drainent parfois des dizaines de milliers de spectateurs. La marche incarne alors la patrie régénérée qui se remet « à marcher droit » après l’humiliation de Sedan. Après la défaite de 1870, la piètre qualité physique de l’armée avait été vilipendée. Le « relèvement du corps » participait de cet esprit revanchard face à l’Allemagne. Gallot, comme tous les autres, se voulait « marcheur patriote », il courait toujours avec un fusil et un drapeau tricolore !
Pourquoi ce sport a-t-il décliné ?
Peut-être parce qu’elle n’était plus autant portée par le vent patriotique. Ironie de l’histoire : la marche était le nerf de la guerre, mais celle-ci s’est enlisée dans les tranchées ! Elle aura connu un âge d’or de la fin du XIX e siècle aux années 1920. Avec le progrès des transports, l’activité a quasiment perdu ses professionnels, et laissé la place aux praticiens du week-end. Une chose est sûre : on ne marche plus assez aujourd’hui !
« Histoire de la marche », d’Antoine de Baecque, Editions Perrin, 22 €.
Les conseils du pro
En 1898, Yves Gallot distille ses « conseils pratiques », à suivre pas à pas, dans un livre, « l’Art de marcher »*. Il y délivre aussi ses . Pour l’imiter, il vous faut déjà « de bonnes espadrilles » graissées de suif, de miel et de saindoux. Lacez-les « au-dessus des chevilles » et « goudronnez les semelles ». Optez pour un pantalon imperméabilisé à l’huile, de la flanelle pour le haut. Les repas doivent être frugaux : bouillon, potage, œuf cru, de la viande saignante, très peu de pain. Pour se préparer au mieux, avalez une boisson à base de 40 g de kola pulvérisé et de 500 g d’alcool à 90° qu’il faut « laisser macérer quatre jours et passer au papier tournesol ».
Pour les petits maux pendant la course, frictionnez-vous avec de l’huile camphrée, et ne trempez pas vos pieds « malgré le désir profond qui vous assaille » : mieux vaut se les badigeonner « au pinceau » avec un mélange (60 g d’acide tonique + 1 litre d’alcool à 90°). Enfin, « n’hésitez pas à chanter en marchant, il n’est pas de meilleur soutien ».
* Réédité en 2013 par la Petite Bibliothèque Payot, 88 pages, 5,10 €.
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