24 Heures - (quotidien vaudois)

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Le trio des Vieilles Canailles s’est installé en répétition la semaine passée sur l’île Seguin, à Paris, où il a reçu la presse. La tournée de dix-sept dates fera escale à Genève mardi 13 juin.


De l’ancien Golf-Drouot à la Seine Musicale, il faut compter une demi-heure en métro et dix minutes à pied. Ou 59 années si l’on flâne en route. Les trois lascars installés au pupitre ont choisi cette dernière option. Ils se sont rencontrés adolescents au cœur de Paris à la fin des années 1950, gavroches fous de rock’n’roll américain glissant leurs centimes dans le juke-box du cabaret qui allait devenir le temple du rock français, et sur la scène duquel ils se produiront sous les noms de Johnny Hallyday, Eddy Mitchell et Jacques Dutronc. Ils se sont éloignés plus ou moins, le temps d’une vie au succès massif, presque patrimonial pour le premier. Et, à 70 ans bien entamés, se retrouvent en «vieilles canailles» à la roublardise forcée mais à l’amitié réelle, pour 17 concerts dont un round genevois, le 13 juin.

La Seine Musicale, donc, puissant complexe installé sur l’île Seguin et lieu où la Sainte Trinité fit son apparition mercredi dernier, sous le soleil qui n’empêche pas les cuirs de méchants garçons. Johnny est habitué, qui vit sous le cagnard de Los Angeles et porte aux pieds les baskets mi-hautes des skateurs de Venice Beach. Dutronc s’en fiche, qui a traversé l’existence sous le verre opaque de Ray Ban. Seul Eddie pourrait être incommodé, mais comme se marre Johnny, «il gueule de toute façon au sujet de tout!» Quoi qu’il en soit, la mythologie rock et sa dégaine priment: à chacun son Perfecto, à chacun son micro. Télés nationales, presse internationale, ce n’est pas tous les jours que le trio fondateur du «rock à la française» se retrouve sur scène, sans doute pour la dernière fois.

«Je voulais présenter le spectacle à notre public de province, qui s’est senti exclu lors de nos concerts uniquement parisiens.» Là, c’est Johnny qui répond à la question du pourquoi de cette tournée, presque trois ans après la création des Vieilles Canailles à Bercy. Goguenard, faisant semblant de fumer son micro, Dutronc l’avait pris de vitesse en prétextant «les impôts» comme moteur de cette réunion, mais l’administration fiscale n’est pas un sujet qui fait rigoler l’ancien résident suisse.

Surtout, à la différence de son compère qui n’a jamais vu dans leur métier le moindre motif de sérieux, Hallyday affiche une affection inébranlable envers la scène et son public. Et le cancer qu’il combat n’a pas entamé sa détermination à mener un nouveau marathon estival. «Revoir mes amis d’enfance, c’est bénéfique moralement», assure le chanteur de 73 ans. «Dans sa situation et avec sa carrière, tout le monde aurait compris qu’il ne fasse pas cette tournée», s’étonnera ensuite, admiratif, un promoteur local.

La veuve d’Elvis

Indispensable, alors, de repartir sur les routes en trio rangé des voitures? Chacun a sa raison et celle de Dutronc, financière, est sans doute valable — Paris Match a estimé un cachet de 170 000 francs par concert et par tête de pipe! Reste que le «rat pack» à la française ne triche pas sur son amour pour le crooning anglo-saxon et le plaisir de reprendre, en velouté et devant les cuivres d’un big band, les standards des uns et des autres, des Play-boys à Joue pas le rock’n’roll pour moi en passant par le Vieille canaille gainsbourgien qui donne son titre au groupe. «Alors que Serge ne l’a ni écrite ni composée, précise Eddy Mitchell. C’est un classique jazzy que Fats Domino et Louis Armstrong avaient déjà joué.» Johnny ajoute au rang des influences Tom Jones, Tony Benett, Dean Martin et Sammy David Junior, et bien sûr Elvis Presley, «un chanteur hors norme mais aussi un excellent crooner. J’ai rencontré sa veuve à Los Angeles. Elle m’a confié qu’Elvis aurait rêvé de chanter de l’opéra.» Et Dutronc, en reprise de volée: «Moi je suis un chanteur d’apéro.»

L’exercice de la conférence de presse n’est pas l’idéal pour se laisser aller aux confidences. Les musiciens évoquent le Golf-Drouot («c’est là que j’ai rencontré Eddy mais aussi Jacques, qui jouait de la guitare avec El Toro et les Cyclones») et révèlent les surnoms dont on les affublait alors. Seul «Schmoll» est resté collé aux santiags d’Eddy Mitchell mais qui se souvient de Johnny «Moustique» Hallyday et de Jacques «Gaston» Dutronc? «C’était «Caleçon», non?» s’inquiète-t-il.

«Johnny, c’est Robocop!»

On remarque le métier de Hallyday, qui répond précisément et poliment en flirtant avec la langue de bois. On admire l’étendue du dilettantisme de Dutronc, qui ne l’ouvre que pour des blagues que n’oserait pas l’oncle Marcel en fin de banquet. On apprécie la bonhomie robuste de Mitchell, le plus âgé (il aura 75 ans le 3 juillet) mais le mieux conservé, ours bienveillant au milieu de ses deux cadets. «Johnny, c’est Robocop! Il est recousu de partout mais il repart tout le temps.»

Hallyday sourit. Et s’excuse d’avoir chouravé les disques d’Eddy, lors d’une surprise party. «Ce garçon m’a pris la main dans le sac. Je lui avais piqué un 33-tours de Gene Vincent, que je n’avais pas trouvé chez le disquaire. Un Bill Haley, aussi.» «Et Lonnie Donegan!» tranche Mitchell d’un mouvement de menton impérial. «J’étais un peu voleur, à l’époque», s’excuse Johnny. Jeunes voyous, vieilles canailles.

«Les Vieilles Canailles» Arena, mardi 13 juin, 20 h 30 Location: Ticketcorner [Vous devez être inscrit et connecté pour voir ce lien] (24 heures)


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