1999: les confidences de Johnny
Par Daniel Rondeau (L'Express), publié le 14/10/1999
Confident du rocker depuis vingt ans, l'éditorialiste de L'Express publie "Johnny", aux éditions Nil. Il en offre la primeur aux lecteurs de L'Express.
Tout homme vit avec ses effigies et avec ses dépouilles
Tout homme vit avec ses effigies et avec ses dépouilles, c'est ce que je me suis dit en quittant Commercy le soir du 15 juin 1999 pour aller fêter l'anniversaire de Johnny Hallyday dans une boîte de nuit des Champs-Elysées. C'était un vrai soir d'été, l'un des premiers. Une brume de chaleur, légère et bleutée, était tendue sur la forêt et les prairies de la vallée du Surmelin, déjà rentrée dans l'ombre. Les rayons d'un soleil déclinant rasaient les cimes des arbres. Qui a dit: "Dieu ou rien"?
En traversant Montmirail, j'aperçus trois personnes qui cueillaient des fleurs de tilleul dans l'ancienne allée du château; un couple assez âgé, et une femme dans la quarantaine, leur fille peut-être. Des pauvres diables avec des sacs en plastique à la main, comme on en voit souvent en cette fin de siècle. Des vagabonds avec un domicile fixe, qui ne sont plus ni de la ville ni de la campagne et errent sur les parkings des supermarchés en soulevant les couvercles des poubelles. Le château avait appartenu aux Retz, aux La Rochefoucauld, Jünger avait couché dans le lit de la duchesse, la duchesse en rentrant chez elle à la fin de la guerre s'était écriée: "Plus jamais un boche chez moi!"
De l'autre côté de la nationale, près d'un parking de routiers, un marchand ambulant refermait l'étal de sa boutique. Il avait poussé sa sono et je reçus au passage quelques bouffées de musique. Ce ne me fut pas très difficile de reconnaître J'ai oublié de vivre, car c'était l'une de mes chansons préférées, comme par hasard. Une vieille chanson, toujours d'actualité. Qui sait encore accueillir la vie à une époque où la vie n'est souvent qu'un rêve unique et planétaire, partagé chaque soir entre des millions de téléspectateurs? Pourtant, s'il y en a un qui a vécu, c'est bien lui, Johnny. Il s'en est même donné à coeur joie. Une vie bizarre, mais une vie. [...]
- Je me demande ce que tu fabriques dans ton 03, il n'y a rien à la campagne. Seulement des arbres, des vaches et de l'ennui.
Combien de fois Johnny Hallyday ne m'avait-il pas tancé de m'être installé dans une campagne qu'il se refusait de nommer autrement que par son indicatif téléphonique. J'avais eu beau lui expliquer ma vocation rentrée d'ermite, que la paix de la nature était propice à mon travail, il n'avait jamais rien voulu entendre, jusqu'au soir où il m'avait avoué:
- Je te comprends, mais pour moi, la campagne, tu sais, c'est la mort.
Moi aussi je pouvais le comprendre, surtout en rentrant dans Paris ce soir-là, car je ressentais la présence commune du temps de l'Histoire et du temps présent. Paris ressemble à une cavale à deux têtes, avec une énergie double, des forces jumelles sans cesse renouvelées, alors que la campagne mêle seulement la mort à la vie, comme le sommeil. [...]
Johnny et Laeticia recevaient leurs invités avec des attentions pour chacun. J'ai cherché des visages amis dans cette foule un peu terne. Carlos, Jean-François Stévenin, Philippe Labro, Line Renaud, Patrick Poivre d'Arvor, et j'ai fini par les trouver. Un jeune homme déguisé en soldat britannique de la guerre du Western Desert et une grande fille blonde en short kaki déambulaient de table en table, en proposant des tours de magie. Et cette dame aux cheveux courts? Etait-ce Brigitte Fontaine? Non, c'était Desta, la cousine de Johnny. Le prestidigitateur était aussi charmeur de serpents. Toujours flanqué de sa plantureuse auxiliaire - une amie d'enfance, prétendit-il assez drôlement quand je l'interrogeai - il se promenait maintenant avec un couple de pythons molures qu'il accrochait au cou de qui voulait connaître sur sa gorge les froides écailles d'un reptile. Carlos, devant les caméras de la télévision, donna libre cours à son esprit facétieux. Deux serpents noués autour du cou comme la boucle de la corde sous le menton du pendu, il chanta Vivre d'amour enchaîné. Deux jeunes femmes posèrent de part et d'autre du chanteur. Vues de loin et dans la lumière d'aquarium de cet immense souterrain qui ternissait l'éclat des visages, elles ressemblaient à ces héroïnes qu'on croise parfois autour de certains lycées parisiens et qui marchent dans la rue Soufflot, les yeux baissés, en pensant aux grandes choses qu'il leur reste à faire. Deux khâgneuses plutôt que des bombes sexuelles. C'étaient la réalisatrice Laetitia Masson et l'une de ses actrices fétiches, Sandrine Kiberlain. Puis le DJ demanda le silence dans son micro et fit descendre le cadeau pour Johnny: un jeune tigre, qui paraissait intimidé. Johnny l'était aussi, mais il s'agenouilla à côté du fauve et l'embrassa. Similitude de comportement, sauvagerie resserrée, reflets des regards qui ne se croisaient pas. Qui allait rugir le premier? Personne, et il y avait quelque chose de triste à les voir tous les deux aussi sages, flanc contre flanc, en plein dans la ligne de mire des photographes qui n'arrêtaient pas de les percuter avec leurs flashs. Quand je suis remonté sur les Champs, des fans m'ont demandé:
- Comment est-il? [...]
Les stars sont toujours des fugitifs
Laissons les gens penser ce qu'ils veulent. Et moi aussi je pense ce que je veux. Tiens, par exemple, les 56 ans de Johnny, il y a des jours où je ne m'y fais pas, avec cet air qu'il a de toujours sortir en se marrant d'un sommeil éternel. Mais ce qu'il y a de plus étonnant avec lui, c'est qu'il arrive encore à nous faire croire que le moment magique du rock'n'roll n'est pas mort depuis ses premières mesures. Le résultat de cette persévérance de quarante années, c'est un homme irradié par le show-business, par l'exhibition permanente de son visage, de ses muscles et de sa sueur, par les exigences de la ferveur médiatique, mais qui a su garder assez miraculeusement un sourire et un entrain de baladin, ce baladin qu'il était dans la chemise Far West de ses 12 ans, et que rien ni personne ni les années n'ont pu tuer. Le baladin paraît un peu désaccordé du monde. Son regard parfois est vide, et il n'est pas difficile de deviner que son âme a brûlé dans tous les cercles de l'enfer, mais il a toujours possédé quelque chose que les autres n'avaient pas. Il s'est préservé cette grâce qui continue d'étonner et, de cette ère finissante, il aura été l'un des points fixes. Pour les vaincus, tous ceux qui sont à la diète de l'abondance, les allumés christiques et solitaires de nos rues, Hallyday est resté une promesse qui leur ressemble. Pour les autres, ceux qui sont riches et célèbres et qui dînent en ville - mais la ville n'est plus la ville, comme dirait Nimier - l'objet de curiosité qu'il était autrefois (le chanteur dément derrière les barreaux de son premier passage à la télévision) est devenu une légende de leur temps. La légende est vivante. Il leur arrive de croiser Johnny à Paris ou à Saint-Tropez, de reconnaître sa silhouette murée dans un halo de lumière froide, de lui sourire et même de lui parler. Il est même possible qu'il leur réponde. Parole et sourire. Pendant quelques secondes, ils ne voient plus que lui. Il ne leur faut guère plus de temps pour comprendre que leur richesse et leur célébrité ne leur serviront à rien et qu'ils ne pourront pas l'inviter à dîner sans risques. Cet homme inoubliable, toujours un peu inquiétant parce qu'imprévisible et qui n'est proche que de loin, est une rock star. Les stars sont toujours des fugitifs. De près ou de loin, Hallyday ne fait que passer, mais il demeure pour nous tous ce fakir aux yeux clairs dont les chansons continuent d'apaiser certaines soifs du coeur. [...]Laissons les gens penser ce qu'ils veulent. Et moi aussi je pense ce que je veux. Tiens, par exemple, les 56 ans de Johnny, il y a des jours où je ne m'y fais pas, avec cet air qu'il a de toujours sortir en se marrant d'un sommeil éternel. Mais ce qu'il y a de plus étonnant avec lui, c'est qu'il arrive encore à nous faire croire que le moment magique du rock'n'roll n'est pas mort depuis ses premières mesures.
Le résultat de cette persévérance de quarante années, c'est un homme irradié par le show-business, par l'exhibition permanente de son visage, de ses muscles et de sa sueur, par les exigences de la ferveur médiatique, mais qui a su garder assez miraculeusement un sourire et un entrain de baladin, ce baladin qu'il était dans la chemise Far West de ses 12 ans, et que rien ni personne ni les années n'ont pu tuer. Le baladin paraît un peu désaccordé du monde. Son regard parfois est vide, et il n'est pas difficile de deviner que son âme a brûlé dans tous les cercles de l'enfer, mais il a toujours possédé quelque chose que les autres n'avaient pas. Il s'est préservé cette grâce qui continue d'étonner et, de cette ère finissante, il aura été l'un des points fixes. Pour les vaincus, tous ceux qui sont à la diète de l'abondance, les allumés christiques et solitaires de nos rues, Hallyday est resté une promesse qui leur ressemble. Pour les autres, ceux qui sont riches et célèbres et qui dînent en ville - mais la ville n'est plus la ville, comme dirait Nimier - l'objet de curiosité qu'il était autrefois (le chanteur dément derrière les barreaux de son premier passage à la télévision) est devenu une légende de leur temps. La légende est vivante. Il leur arrive de croiser Johnny à Paris ou à Saint-Tropez, de reconnaître sa silhouette murée dans un halo de lumière froide, de lui sourire et même de lui parler. Il est même possible qu'il leur réponde. Parole et sourire. Pendant quelques secondes, ils ne voient plus que lui. Il ne leur faut guère plus de temps pour comprendre que leur richesse et leur célébrité ne leur serviront à rien et qu'ils ne pourront pas l'inviter à dîner sans risques. Cet homme inoubliable, toujours un peu inquiétant parce qu'imprévisible et qui n'est proche que de loin, est une rock star. Les stars sont toujours des fugitifs. De près ou de loin, Hallyday ne fait que passer, mais il demeure pour nous tous ce fakir aux yeux clairs dont les chansons continuent d'apaiser certaines soifs du coeur. [...]
"Je crois qu'ils finiront par avoir ma peau"
A l'heure où j'écris (juillet 1999), il est encore sur la route... Je l'ai appelé au premier jour de sa tournée d'été, en début d'après-midi, à Grenoble, une ville qu'il ne porte pas particulièrement dans son coeur depuis une bagarre qui avait mal tourné, il y a un certain temps déjà. Quand je lui ai parlé, il était seul dans sa chambre où il s'était fait monter un plateau-repas.
En janvier dernier, il m'avait téléphoné un dimanche matin à 6 heures. C'était à la fin de sa tournée d'hiver. Après avoir chanté à Metz la veille au soir, il avait pris le volant de sa Mercedes et s'était arrêté à Reims. L'hôtel des Crayères étant complet, il était descendu dans un établissement de deuxième catégorie. J'entendais la télévision qui hurlait dans sa chambre. Il était seul. Quand je lui avais demandé ce qu'il faisait là, il m'avait répondu:
- Je chante aujourd'hui à Dunkerque, en matinée, je n'avais pas sommeil, je me suis dit que je n'avais qu'à prendre la bagnole et faire la moitié du chemin. Mais tu sais...
- Je sais quoi?
- Je crois qu'ils finiront par avoir ma peau.
Et il avait éclaté de rire. A Dunkerque, en matinée... C'était le même homme qui chantait à Dunkerque en matinée et qui avait rempli trois soirs de suite les gradins et la pelouse du Stade de France, mais personne ne s'en étonnait, pas même lui. [...]
Sexe et neurasthénie
Au printemps 1969, deux mois avant l'élection de Georges Pompidou à la présidence de la République, Lucien Bodard, qui venait de publier avec succès Le Massacre des Indiens, est envoyé en reportage par Pierre Lazareff à un concert du chanteur au Palais des sports à Paris. Lulu le Chinois découvre donc les rites de la porte de Versailles après ceux de la jungle brésilienne et les pratiques de cruauté et de plaisir des royaumes orientaux. Il ouvre un oeil qui en a vu d'autres, rentre dans son bureau-cellule de la rue du Général-Bertrand et écrit son papier pour France-Soir: "Johnny qui se dépouille, qui s'écroule, qui, à terre, torse nu, pousse des cris haletants où l'on distingue: ?Je t'aime?, ?Je te déshabille?, ?Je te veux?. Johnny maître de la technique de l'exploitation des instincts primaires sur un fond de neurasthénie." Puis il ajoute: "Johnny n'est plus l'idole, mais il est devenu un monstre sacré." Sexe et neurasthénie: c'était assez bien vu. Car si Johnny était passé de son statut d'idole (des jeunes, des ouvriers, etc.) à celui de monstre sacré, c'est qu'il n'avait pu dissimuler son visage de souffrance. Ne pouvant le cacher, il l'avait mis en scène. Il y avait désormais un Johnny de lumière et un Johnny des ténèbres. Ce dernier ressemblait à un homme qui aurait marché en brandissant sa tête au bout d'une pique. Cette souffrance avouée était son point d'honneur visible. Le jeune roi était entré en force dans son époque. Partout où il était passé, il avait levé son tribut. Argent, notoriété, femmes. Quand il n'avait encore que 17 ans, chantant un soir à l'Alcazar de Marseille, il avait eu la surprise de voir après son tour de chant un père lui offrir sa fille de 15 ans. Ce qu'il nommerait plus tard et de façon assez touchante: la rançon de la gloire. Cette vierge donnée par un père, c'était le signe qu'une part non négligeable de la France lui avait été dévouée jusqu'à la courtisanerie. Il n'y eut pas que des pères pour lui offrir leurs filles, mais des mères aussi, et qui s'offraient en même temps, et des maris qui lui servaient leur propre femme dans son lit, et des jeunes gens qui rêvaient d'être gentils avec lui à l'arrière de sa Rolls. Le jeune roi rebelle aurait pu devenir un despote dégénéré, qui se payait sur la chair et se complaisait dans les souillures morales. Mais il savait donner et il voulait aimer, ce qui allait changer pas mal de choses. [...]
Première rencontre
En 1978, j'avais réussi à placer quelques piges à Radio Nord-Est, l'antenne locale de Radio France, et c'est ainsi que je m'étais retrouvé dans les coulisses du parc des expositions de Nancy, un soir d'hiver. Quelque chose ne devait pas tourner rond ce jour-là dans la vie du jeune roi, il était sombre. C'est du moins ce que m'avait laissé entendre son secrétaire-chauffeur-garde du corps, Alain, que j'avais tenté de me mettre dans la poche, car j'étais là pour travailler et recueillir quelques propos du chanteur sur la bande magnétique d'un Nagra. L'humeur noire de Johnny, invisible, enfermé dans sa loge, pétrifiait les membres de son entourage. Je mis un certain temps à comprendre qu'ils avaient peur. Peur de quoi? De ses larmes? De ses cris? De ses fureurs de jeune roi? Je ne pouvais décemment pas le demander à mon nouvel ami que je m'appliquais à distraire tout en le pressant d'être mon messager auprès de son maître. Comprenait-il que je ne devais pas rentrer bredouille? Oui, il le comprenait et il finit par se risquer dans la loge où il demeura un temps très bref. A son retour il m'assura qu'il avait transmis ma requête: dix minutes d'entretien. Et la réponse? Alain haussa les épaules, il n'y avait pas de réponse. Le public appelait Johnny, les poutrelles de fer de toute la halle vibraient mais l'attente se prolongeait, de plus en plus pesante. Tout à coup, il y eut un frémissement, la porte de la loge s'ouvrit et une ombre haute et inquiétante en sortit. Hallyday était vêtu de noir et portait aux pieds des bottes mexicaines qui le grandissaient. Il marchait lentement, les traits immobiles, le regard absent, comme s'il ne regardait qu'en lui, les lèvres closes. Il me fit penser à un homme qui sortirait de son tombeau, mais quand il arriva à ma hauteur, il me décocha un sourire en flèche et me lança: "Alors il paraît qu'on se voit après le spectacle? Mais faudra pas me torturer longtemps, car tu sais, parler, moi..." Peut-être avais-je été le sous-fifre à qui il ne dédaignait pas de sourire juste avant de retrouver le public pour se donner du coeur à l'ouvrage, peut-être Hallyday avait-il été simplement le professionnel aimable avec la presse qu'il sait être, mais déjà la scène (sa résurrection) le happait. Il tira le fil de sa guitare, vif et précis, en jouant comme d'un lasso puis poussa une série de petits hou-hou-hoooou! qui affolèrent le public et traduisaient à merveille toute l'énergie d'un type en pleine forme. [...]
Le jeune homme et la France
Le héros de L'Age-déraison [roman de Daniel Rondeau, Seuil, 1982] s'appelait Johnny H. et ressemblait au chanteur comme un frère. J'avais imaginé de réchauffer dans mon encre l'énergie double de la révolte de Mai et du rock'n'roll. Un personnage de chanteur adolescent incarnait dans ce roman les inventions et les blessures d'un temps déjà révoqué. Avec une vie à l'arraché, soulevée par des forces printanières. "Mon" Johnny militait chez les "maos" et chantait à Renault-Billancourt. Quand j'avais averti Johnny de ce détournement, il m'avait répondu avec beaucoup de gentillesse: "Tu fais ce que tu veux." Et il avait continué de vivre le roman de sa propre vie, sans jamais retenir les chevaux. En 1998, j'avais eu tout à coup l'impression de me retrouver avec Johnny Hallyday dans un chapitre inédit de L'Age-déraison, vingt ans après. C'était un jour de mai, dans un studio situé dans l'arrière-cour d'un immeuble, non loin de la gare d'Austerlitz. Le chanteur, tendu et grave, visage de bronze, en jeans et tee-shirt noir, revenait de Barcelone, où il avait joué un second rôle dans un premier film. Sa voix, toujours chargée à quarante cigarettes par jour, découpait dans la ouate acoustique du studio des mots qui parlaient de mineurs, d'ouvriers et de paysans, de dynamite et de mitraille. "Ami, entends-tu le bruit sourd des corbeaux dans la plaine, ami..." Depuis quelques mois, je travaillais sur les témoignages des jeunes gens qui avaient quitté leur pays en juin 1940 pour entrer dans l'aventure de la France libre, filmés par Roger Stéphane longtemps avant son suicide. J'avais demandé un soir à Johnny s'il accepterait d'enregistrer le Chant des partisans pour le générique du film. La fraternisation de deux mythologies me paraissait capable de sortir le temps d'une soirée le message éternel - "La liberté nous écoute" - du sarcophage de silence où dorment les messages éternels. Mythologie de temps de paix (le rock, la star, née dans la rue, etc.), mythologie d'histoire et de guerre (les maquis, le 18 juin, Jean Moulin, Bir Hakeim): le dernier visage de la France se brouillait entre ces deux tableaux. Le Chant des partisans avait été écrit à Londres en mai 1943 par Joseph Kessel et Maurice Druon, sur une musique d'Anna Marly, inspirée des chants populaires russes. "Les paroles étaient tombées toutes seules", m'avait raconté Maurice Druon. Paroles et musique ont été écrites en un après-midi, un dimanche. Diffusé sur les antennes de la BBC, ce chant devint aussitôt l'indicatif de l'émission Honneur et Patrie, puis fut publié pour la première fois en septembre 1943 dans les Cahiers de la Libération d'Emmanuel d'Astier. L'encre de l'Underground song, comme l'appelèrent les Anglais, était à peine sèche que déjà des lèvres murmuraient ses paroles comme une secrète prière aux armes. La cadence des mots volait de pensée en pensée dans l'ordre de la nuit. Chant de complicité, s'était écrié plus tard André Malraux au Panthéon, pendant le transfert des cendres de Moulin. "Ecoute aujourd'hui, jeunesse de France, ce qui fut pour nous le Chant du malheur..." Johnny Hallyday avait accepté ma proposition dans l'instant. Aucune frilosité, pas de précautions. C'était oui. Quelques semaines plus tard, craignant d'avoir abusé de sa générosité ou de lui avoir forcé la main, j'avais reparlé avec lui des Hommes libres. "Je sais ce qu'a été la Résistance, me répondit-il sèchement. J'ai vécu quelques mois chez Jean Pierre-Bloch quand j'avais 18 ans et demi. J'étais très ami de son fils, un jour il m'avait ramené chez ses parents et j'étais resté chez eux. J'ai souvent écouté Jean Pierre-Bloch et sa femme raconter leur combat contre la Gestapo, des gens formidables..." Et voici que l'ancien Gitan du Johnny Circus chantait derrière la vitre, comme s'il ne s'agissait ni plus ni moins pour lui que d'arracher ce chant au marbre des tombeaux, en lui donnant son souffle: "Ohé, partisan, ouvrier et paysan, c'est l'alarme..." Aux consoles du studio, un guitariste philosophe, un surdoué de la musique électronique et un ingénieur du son appuyaient son ambition des nuances de leur savoir-faire. "Il y a des pays où les gens au creux des lits font des rêves..." Dans les baffles s'éveillait un paysage d'Histoire... "Chantez, compagnons..." Respiration de la terre, grelots des sources, quelques pas dans un sous-bois. Légendaire motif des amants de l'ombre qui cherchaient leur chemin dans le "désordre du courage". Il y avait quelque chose de roboratif à entendre cette musique toujours agissante et tellement déraisonnable. Il n'avait pas fallu trois heures pour que Johnny s'en empare. Le jeune homme est la France... [...]
Sagan, de Gaulle et Tintin
Dans son nouveau disque, Johnny interprète une chanson de Sagan. Il leur en a fallu des années à ces deux-là pour se trouver. Johnny et Françoise se sont vus, enfin, ils se sont parlé, elle a écrit, il a chanté. Leur chanson siffle la fin de la récréation. Les sixties sont terminées, elles ont duré quarante ans.
Nous n'avons guère profité de ces quarante ans, comme s'ils s'étaient dérobés pour nous aux choses sérieuses. L'époque ne nous a pas aidés. Basses eaux? occasions manquées? négligences, dérobades de notre part? Il y a des moments où j'envie Kouchner. Vice-roi du Kosovo, gouverneur de province onusienne, le voici loin, dans les vieilles marches de Rome, sous l'ancien limes, avec les mains dans la saloperie humaine, la neige qui ne va pas tarder à tomber, les Thénardier des deux camps, mais le sentiment de participer à la jeunesse du monde, car l'éternelle jeunesse, c'est de faire. La pax kouchneria n'est pas forcément pour demain. Et alors? Il aura essayé, au moins, lui.
Johnny a profité de ces quarante années pour monter sur le podium des mythologies françaises. Le voici bien installé, coulé dans le bronze de la dévotion populaire, entre de Gaulle et Tintin. Bonjour, c'est Johnny, ça va?
Ça va très bien. Je vais toujours très bien.
Dans le 03, les vendanges ont commencé hier matin.
Mon premier souvenir de vendanges, c'est la nuit, à Congy, le pressoir pisse, je bois des grands verres de vin doux, le feu ronfle dans la cuisine d'été de mes grands-parents, j'ai faim. Aujourd'hui c'est l'automne jusqu'au plus haut des cieux. Des souvenirs s'attardent là où des feuilles s'envolent, et j'entends ses chansons.
© NIL
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